Une étonnante affirmation du curé Mignault de Chambly nous a laissé pantois. Nous qui croyions, comme beaucoup de personnes, que le clergé canadien bannissait les danses dans les maisonnées d’hiver. Nous étions convaincus que l’Église n’était que rabat-joie, renfrognée, ennemie de la gaieté. Une Église sans sourire, méfiante et soupçonneuse. D’ailleurs, le cinéma et le roman ne nous ont-ils pas habitués à cette caricature du curé de village qui pourchasse les meneurs de bal, les mondanités de salon, et qui tonne en chaire contre les passe-temps et les délassements.
Voici l’opinion du curé de Chambly en 1846 sur la question de la danse: «En réponse à la question posée dans votre circulaire au sujet des danses. J’ai l’honneur de vous observer que je suis d’opinion qu’il faut accorder quelques amusements au peuple et que ces assemblées de voisins et d’amis servent souvent à réunir les parents, les amis et les voisins et à maintenir la paix entre eux». L’historien Lucien Lemieux confirme cette position: «La période la plus mondaine de l’année s’étendait de la fête des Rois jusqu’au mercredi des Cendres. Le carnaval et les jours gras comportaient des festivités où la danse était fort répandue… Même au collège de Saint-Hyacinthe, les régents et les écoliers s’amusaient bruyamment dans des gigues et des contredanses… Mgr Plessis admettait que ces rencontres n’étaient pas dangereuses pour un certain nombre de personnes. On conseillait au moins la présence des parents lors des veillées et des bals des jeunes gens…» Toutefois, il n’aurait pas déplu à certains curés plus puritains que ces veillées, ces sauteries soient interdites. «Aucune paroisse n’était vraiment chrétienne sans que les danses n’en soient exclues.» En somme, on tolérait ces coutumes, quitte à condamner les abus, les beuveries, ou les écarts sexuels. D’ailleurs pouvait-on vraiment les supprimer, sans que ces rigodons passent dans la clandestinité? Faut ajouter aussi qu’au cours de notre histoire, les censures ecclésiastiques ont varié, au gré des moeurs sociales et de la personnalité des acteurs. Certains régimes politiques mal renommés ont connu dans l’histoire des interdits bien plus sévères: pas de jazz; pas de chants patriotiques, pas de rassemblements secrets. Censure des médias, prohibition d’alcools, interdits des modes, suppression de certains vêtements, fermeture des cinémas, etc… Paul-Henri Hudon Sources: ADSJQ, 1A-129, Lettre du curé Pierre-Marie Mignault à son évêque, 24 janvier 1846.Lemieux, Lucien, Histoire du catholicisme québécois. Les années difficiles, 1760-1839. pages 347-348.Illustration: BAnQ, Canadian minuets / [George Hériot], No de notice: 0002723859 Ce texte vous inspire des commentaires? Vous souhaitez émettre une suggestion? Merci de nous écrire.