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Domestiques d’autrefois et enfants domestiques

By 10/04/2019May 9th, 2019No Comments

Nous sommes nombreux à suivre les péripéties de la domesticité du manoir de Downton Abbey, titre d’une populaire série diffusée à Radio-Canada qui se déroule dans l’Angleterre du début du XXe siècle. Qu’en est-il des maîtres et valets vivants dans la société chamblyenne d’autrefois?

À la même époque, sur la rue Martel, s’élève le château Coombe, demeure aux proportions plus modestes que celle de la famille Crawley de la série, mais qui engage elle aussi du personnel domestique (note 1). Servantes et autres employés de maison reçoivent salaire ou gages, ce qui n’était pas toujours le cas des domestiques qui ont vécu pendant les siècles précédents.   Contrats d’engagements   Il était normal pour des familles le moindrement à l’aise d’avoir des domestiques à son service, à une époque qui ne disposait d’aucun de nos appareils ménagers. Le recensement de 1765 relève au moins une vingtaine de domestiques pour une centaine de ménages.   Le statut de domestique est rarement indiqué dans le registre paroissial, contrairement à celui des notables et des professions d’artisans. En fait, pour repérer les domestiques des XVIIIe et début XIXe siècles et connaître leurs conditions de vie, il faut faire appel aux nombreux contrats d’engagement retrouvés dans les archives notariales.   Le 22 novembre 1779, par exemple, le curé Jean-Pierre Mennard engage Baptiste Poyer dit Lapintade, garçon volontaire pour 120 livres par année, qu’il lui fournira à mesure qu’il en aura besoin pour se vêtir et pas autrement. Il est convenu qu’il demeure chez le curé, tout comme Pierre Jasmin, ancien soldat du Régiment canadien volontaire, qui s’engage pour une période d’un an chez le négociant René Boileau, le 5 février 1803. Tout en étant logé et nourri, Jasmin recevra des gages de 216 livres cours ancien, versé au fur et à mesure dudit temps. L’engagé a même touché une petite avance de 4 livres 10 sols.   Par contre, il existe une autre catégorie de domestiques qui n’ont droit à aucun gage: les enfants domestiques.   Enfants domestiques Il était courant d’engager des enfants qui pouvaient exécuter une foule de petites tâches selon leur âge: vider les pots de chambre, désherber le jardin, entretenir le feu, puiser de l’eau. Malheureusement, les contrats ne détaillent guère les travaux des enfants domestiques qui se résument à faire tout ce qui lui sera commandé de licite et d’honnête par son maître, sa dame ou ses représentants. Les motifs qui poussent les parents à placer leurs enfants sont divers, mais tous affirment chercher l’avantage de leur progéniture, se trouvant eux-mêmes dans l’incapacité de les entretenir. La moyenne d’âge de ces enfants mis en service est de 10 ans, mais il n’est pas rare de voir des enfants beaucoup plus jeunes placés par leurs parents.   Jean-Baptiste Soret dit Larose est sans doute à la recherche d’un foyer nourricier pour sa petite Félicité, 2 ans, placée le 16 août 1784 chez Pierre Ostiguy dit Domingue et Françoise Maillot, couple marié depuis quelques années mais sans enfant (note 2). Félicité est orpheline de mère et fut certainement placée en nourrice; Catherine Dejaron, sa mère, est morte deux jours après sa naissance. Soret s’est remarié peu après avec Marie-Archange Renaud et le couple vient d’avoir un premier enfant. L’entente du placement de la petite, qui s’apparente plutôt à une adoption, est signée dans la maison presbytérale de Pointe Olivier (Saint-Mathias), sous l’égide bienveillante du curé Pierre Picard.   Antoine Cyriaque est à peine sorti de la petite enfance. Le 12 avril 1787, il a 6 ans et demi lorsque son père, François Cyriaque dit Laforest, le place chez le négociant Boileau. Veuf de Charlotte Parisien Pivert (morte l’année précédente), le père de famille, vient de se remarier avec Marguerite Bombardier. Cette dernière est enceinte au moment du placement du jeune garçon qui semble être l’aîné des enfants de Charlotte Parisien.   La situation est différente pour François, fils de Jean-Baptiste Proteau et Geneviève Parent, mis en service le 29 novembre 1779. Cette fois, c’est peut-être la famille qui vit un moment économique difficile, à moins qu’il n’y ait une autre raison qui nous échappe. François est le troisième de plusieurs garçons d’une famille d’artisans: ses frères Jean-Marie et Nicolas seront plus tard menuisiers à Chambly. De son côté, Marie-Anne Dumont est veuve et sans ressource. Elle place sa fille de 12 ans Charlotte Troie dit Lafranchise, chez le docteur Joseph-Alexandre Talham le 30 mars 1787, affirmant ne pouvoir la garder avec elle, se trouvant obligé elle-même de se mettre en service. Obligations de part et d’autre   Les contrats stipulent que les maîtres s’obligent à les nourrir, à les loger et à les habiller. La formule convenue est que ceux-ci s’engagent à les traiter doucement et humainement; ce dernier terme suggère qu’on distingue les enfants domestiques des esclaves. Tous les contrats spécifient que les enfants seront également élevés dans la religion romaine. En engageant des garçons volontaires, ni le curé Ménard ni le négociant Boileau n’ont ressenti le besoin de faire cette précision.   L’engagement des enfants prend fin généralement à l’âge de 18 ans, parfois 20 ou 21 ans accomplis. À la fin du service, les maîtres s’engagent à offrir un trousseau complet à ces enfants. Engagée en qualité de domestique par la famille Hertel de Rouville le 9 juin 1793, Josette Parenteau, 11 ans et demi, recevra à l’expiration du présent engagement, six chemises, six coiffes, un mouchoir, un déshabillé d’indienne, une paire de souliers de cuire, une paire de bas de coton, avec toutes les hardes et linges à son usage qu’elle aura eu pendant ledit engagement. Pour sa part, Charlotte Troie Lafranchise recevra aussi une paire de souliers français deux paires de bas, une jupe, un mantelet d’étoffe du pays, avec tous ses linges, hardes à son usage qu’elle aura eu pendant ledit temps, une taure pleine de deux ans.   Le don d’un animal domestique est aussi prévu au contrat de François Proteau qui pourra repartir avec vêtements et chaussures de jour et de dimanche et habillé en neuf d’un capot, veste et culotte, bas et souliers et un chapeau.   En contrepartie, tout en confiant leurs enfants à des maîtres, les parents ne sont pas pour autant dégagés de toute responsabilité. Les contrats précisent qu’ils s’obligent, en cas d’absence de leur enfant, de le chercher et faire chercher et s’il peut être trouvé, de le ramener chez son maître pour achever le temps qui restera à expirer. Par ailleurs, vis-à-vis son maître, l’enfant est tenu de faire son profit, éviter son dommage et l’en avertir s’il vient à sa connaissance, et en aucun cas il ne peut s’absenter sans permission.   Qu’advient-il des enfants domestiques?   Pour certains de ces enfants qu’on a sortis de leur milieu naturel, l’aventure d’être mis en service a pu tourner à leur avantage. Dans la famille qui les a employés, ils auront été mis en contact avec l’environnement d’une classe sociale supérieure à celle de leurs parents. De plus, une fois le contrat expiré, ils repartent pourvus de biens.   Il arrive qu’une sincère affection se développe entre les maîtres et les enfants. Cette affection a peut-être précédé le moment de la signature de l’entente avec les parents. Pierre Ostiguy s’engage à élever dans la religion catholique la petite Félicité Soret comme le ferait un bon père. Le docteur Talham précise qu’il aura soin de Charlotte Troie dit Lafranchise comme un de ses enfants.   Dans le cas de Charlotte, l’affection a été réelle. Le docteur et sa première épouse Appoline Poudret n’ont jamais eu d’enfant. Dans son testament, la première madame Talham lègue des meubles et ses vêtements à Charlotte. Après huit années de veuvage, le docteur se remarie avec Marguerite Lareau. Charlotte vit toujours avec lui, elle a 28 ans. Mais le docteur, qui ne peut l’imposer à sa jeune épouse de 18 ans, lui demande de partir. Il lui a toutefois constitué une rente en reconnaissance des services que Charlotte Troie lui a rendus depuis son enfance: 10 minots de farine et 120 livres ou shillings sa vie durante, en deux payements de 5 minots et 60 livres, de six mois en six mois. Il s’engage en outre à lui verser 600 livres (ancien cours) le jour de ses épousailles. Le docteur et la deuxième madame Talham seront parrain et marraine d’un enfant de Charlotte.   Antoine Cyriaque semble également bien s’en tirer. Il se dit journalier de Pointe-Olivier le jour de son mariage avec Marie-Josèphe Morin (ou Morier), à Saint-Luc, le 23 novembre 1801. Il a alors 22 ans. Il se mariera deux fois, aura plusieurs enfants et arrivera à s’acheter un petit bien. Est-ce en signe de reconnaissance qu’il demande à ses anciens employeurs, monsieur et madame Boileau, d’être parrain et marraine de son fils Éric, né en 1815? En 1832, l’ancien petit domestique assiste au mariage de son fils Antoine.   Dans le cas de Josette Parenteau, nous ignorons si elle a complété son engagement avec les Rouville. Le 1er février 1802, elle épouse un veuf, André Dubreuil, laboureur. Le jour de son mariage, elle se dit “journalière”. Son père, qui l’avait autrefois mis en service chez les Rouville, est présent à son mariage. Et, qu’est-il arrivé à la petite Félicité ? Elle se marie le 17 février 1800, à Pointe Olivier, entourée de ses frères: Jean-Baptiste, qui lui sert de père, et Pierre, son demi-frère. Le marié est Jean-Baptiste Senneville dit Descôteaux, célibataire de 40 ans. Antoine Littlefield, qui “sert de père” à ce dernier, est un cousin de Pierre Ostiguy.   Louise Chevrier   Note 1 Un article très détaillé décrit les familles successives qui ont habité le château Coombe, ainsi que leurs employés, dans le numéro 18 des Cahiers de la seigneurie de Chambly intitulé Le “Château” à Chambly dit le Château Coombe. (Les ruines de cette demeure incendiée en 1948 ont définitivement disparu avec la construction des immeubles à condos de la rue Martel, en 201.)   Note 2 Dans un article intitulé Marie-Anne Georget dit Briand, fille engagée, paru en 2006 dans la revue Mémoires, volume 57, numéro 3, pp 179-193, Denise Gravel fait état d’un contrat d’engagement avec une fillette de 3 ans.   Sources : Greffe des notaires suivants: Jean-Baptiste Grisé, 22 novembre 1779, 29 novembre 1779, 16 août 1784, 12 avril 1787, 29 juin 1793, 30 mars 1797. François Leguay: 2 février 1803, 3 février 1803, 5 février 1803.   Illustration : La laitière, Johannes Vermeer, Rijksmuseum.     Ce texte vous inspire des commentaires? Vous souhaitez émettre une suggestion? Merci de nous écrire.