À Chambly, le 1er courant, la Dame de Jos. Lajeunesse, étudiant en médecine, a mis au monde une fille. Ces deux lignes retrouvées dans La Minerve, édition du jeudi soir 4 novembre 1847, confirment que la date de naissance d’Emma Lajeunesse Albani est bel et bien le 1er novembre 1847.
L’histoire d’Emma Lajeunesse, dite l’Albani, commence par une énigme, celle de sa naissance, rappelle son biographe Pierre Vachon. Le père d’Albani, le musicien Joseph Lajeunesse, a souvent triché avec l’âge réel de sa fille, «enfant prodige» de la musique. En 1856 par exemple, lors du premier concert d’Emma, l’annonce publiée dans les journaux mentionne une enfant de huit ans. La confusion persiste puisque Emma elle-même, dans ses Mémoires, donne pour sa date de naissance le 1er novembre 1852; de plus, sur sa pierre tombale, l’année 1850 est gravée. Ces deux dates ont été rejetées par tous ses biographes. Napoléon Legendre, un contemporain, avançait celle 1er novembre 1848. C’est Hélène Charbonneau qui, la première, parlera du 1er novembre 1847, date retrouvée dans le registre du couvent de Sault-au-Récollet lors de l’inscription des sœurs Emma et Cordélia Lajeunesse. Depuis, cette date a été officiellement retenue par les historiens comme étant le jour de la naissance d’Albani: une hypothèse suggérant que les parents musiciens s’étaient déplacés à Plattsburgh, qu’Emma y était née et que les registres paroissiaux avaient été détruits. (1) La date ne reposait encore sur aucun autre document d’archives. Or, voici ce que le chercheur Raymond Ostiguy de la Société d’histoire de la seigneurie de Chambly a retrouvé par hasard: Ces quelques lignes bousculent l’hypothèse d’une naissance dans une paroisse du lac Champlain en 1847. On ne peut douter que ce Jos. Lajeunesse, étudiant en médecine à Chambly, soit Joseph Lajeunesse, père d’Emma. Nous savons qu’au moment d’épouser Mélina, la fille de Basile Mignault et de Rachel McCutcheon, Joseph hésitait entre la carrière de musicien ou médecin. Il avait fait des études classiques au collège de Sainte-Thérèse. Mélina Mignault, née à Chambly le 26 mai 1827, a 18 ans lorsqu’elle épouse Joseph Lajeunesse, qui en a 28. Ce dernier se déclare musicien le jour de son mariage, mais au moment de la naissance de leur premier enfant, Zoé (née à Montréal le 17 novembre 1846 et baptisée le 23), il se dit «étudiant en médecine». Curieux mariage que celui-là! Célébré à Montréal, alors qu’il était d’usage qu’une jeune fille se marie dans sa paroisse, aucun parent Mignault ou Lajeunesse n’y assiste. De toute évidence, les familles n’ont pas donné leur consentement et une dispense de trois bans a été accordée par le grand vicaire Quiblier. Les témoins sont Louis-Amable Lionnais (2) et Stanislas Drapeau (3). Ce dernier est imprimeur et journaliste, collaborateur de Napoléon Aubin qui publie Le Fantasque, un journal humoristique et un brin irrévérencieux. D’ailleurs, on verra souvent Joseph Lajeunesse près de personnages dont l’histoire a retenu le nom. Par exemple, le parrain de la petite Zoé (qui ne vivra pas) est Charles Dorion, médecin, et la marraine est son épouse, Zoé Beaudry, chez qui, probablement, Joseph fait son apprentissage en médecine. Ce docteur Dorion deviendra seigneur des Iles-Bouchard (4). Après la perte de Zoé, inhumée à Montréal le 14 janvier (5), Mélina et Joseph sont de retour à Chambly. (Lajeunesse y était certainement en 1845-1846, puisqu’il a fait la connaissance de Mélina…) Nous savons que Basile Mignault fait construire une petite maison à leur intention, face au bassin de Chambly. Dans le texte de La Minerve, Joseph Lajeunesse, étudiant en médecine, affirme poursuivre son apprentissage. Chez le docteur Charles Grosbois ou le docteur Timothée Kimber? Il n’est pas impossible que Joseph Lajeunesse connaisse le musicien Jean-Baptiste Labelle (6), organiste de la paroisse et fiancé à Sophie Porlier, qu’il épousera en 1849, la nièce du docteur Kimber. On le sait, l’appel de la musique chez Joseph Lajeunesse sera le plus fort. En 1849, après le départ de Labelle, il devient à son tour l’organiste de la paroisse Saint-Joseph de Chambly. Mais il perdra son poste peu après la naissance de son fils Adélard en 1850 (sans doute à cause de son caractère). L’année suivante, à la naissance d’Aline-Louise (7), il est dit professeur de musique. Il consacrera sa vie à cette profession; son élève la plus célèbre étant évidemment sa fille, Emma. Pour revenir à l’extrait de La Minerve du 4 novembre 1847, s’il nous révèle la présence du couple Lajeunesse à Chambly à cette date, l’acte de naissance d’Emma Lajeunesse (de même que celui de sa sœur Cordélia) demeure toujours introuvable. Le voile est à peine levé sur ce mystère. Louise Chevrier (1) Charbonneau, Hélène, L’Albani et sa carrière artistique triomphale, Imprimerie Jacques-Catier 1938; Legendre, Napoléon, Albani, (Emma Lajeunesse), Imprimerie A. Côté 1874; Vachon, Pierre, Emma Albani, collection Célébrités, Lidec, 2000; Hudon, Paul-Henri, Nadon, Pierre, Vachon, Pierre, Une fleur de l’art vocal L’Albani, Les cahiers de la seigneurie de Chambly numéro 34, 2010.(2) Nous présumons que ce Lionnais est musicien. Cette famille compte de nombreux musiciens.(3) Stanislas Drapeau (1821-1893), imprimeur, journaliste, collaborateur aux journaux Le Fantasque et Le Canadien, sera plus tard éditeur. Il épouse Caroline Drolet à Québec, le 5 août 1845. Il est dit : imprimeur à Montréal.(4) Charles Dorion, étudiant en médecine, épouse Zoé Beaudry, fille de Pierre et Marie Angélique Mallard, à Montréal, 3 février 1835. Le beau-père deviendra seigneur des Iles-Bouchard, seigneurie qui passera entre les mains de Dorion plus tard.(5) Joseph Lajeunesse est toujours dit : étudiant en médecine, dans l’acte de décès.(6) Voir dans le Dictionnaire biographique canadien, l’article consacré à ce musicien.(7) Cette petite sœur d’Albani décède l’année suivante, en 1852. Les Lajeunesse sont toujours à Chambly. Ce texte vous inspire des commentaires? Vous souhaitez émettre une suggestion? Merci de nous écrire.
