À Chambly, deux bâtisses patrimoniales sont redevables au maître menuisier et maître charpentier François Valade (1778-1831): l’église St. Stephen’s et la maison Thomas-Whitehead, dite «La Maison bleue», immortalisée dans un tableau du peintre Robert Pilot. Le Vieux-Montréal a conservé deux bâtiments, également l’oeuvre de Valade: la maison Del Veccio et la maison Berthelet. Le grand artiste Louis Dulongpré l’avait engagé pour construire sa maison. Selon le Dictionnaire biographique canadien, dans l’article consacré à l’artiste Louis Dulongpré, Valade est l’un des meilleurs artisans de son temps.
Issu d’une longue lignée de maître maçons et tailleurs de pierre de l’île de Montréal, François Valade est le deuxième fils de Guillaume Valade et Marie-Louise Guénette. La famille vit à Sault-au-Récollet, mais la naissance de François est enregistrée à Saint-Vincent-de-Paul, le 22 janvier 1778. Plus tard, l’artisan ajoutera le prénom de «Xavier» à son nom, sans doute pour se distinguer de cousins ou autres homonymes artisans, nombreux à porter le patronyme Valade. Nous ignorons encore où François Valade s’instruisit et fit son apprentissage, mais le 9 novembre 1801, il épouse à Montréal Marie-Amable Gauthier et se dit menuisier de cette ville. De nombreux contrats chez les notaires de Montréal témoignent qu’il ne manque pas de travail. François Valade arrive à Chambly pendant l’été 1814, attiré sans doute par l’important chantier que représente la construction du complexe militaire: rappelons que les autorités britanniques construisent sur la banlieue du fort une cinquantaine de bâtiments pour l’armée. Il engage immédiatement un premier apprenti en juillet, puis un deuxième en novembre (1). En janvier 1815, il a définitivement laissé Montréal pour Chambly; une annonce parue dans Le Spectateur Canadien, vante sa «superbe maison» du faubourg Saint-Laurent qui est en vente. Il n’est pas le seul, des dizaines d’artisans venant de partout sont à Chambly à cette époque. Notons parmi eux le maître maçon Louis Duchatel, avec qui Valade construira St. Stephen’s. La réputation de Valade était connue, puisqu’il travaillera comme maître de chantier, de concert avec les vieux artisans de Chambly, entre autres, les membres des familles Vincelet, Proteau, Robert et Boudriau. François Valade et Marie-Amable Gauthier ont eu plusieurs enfants, mais un seul survivra. Il s’agit de François-Xavier Valade, né à Montréal le 3 octobre 1803, qui sera instituteur, inspecteur d’écoles et notaire, à Terrebonne et à Longueuil. Ultramontain, défendant avec ferveur le mouvement de la tempérance et publiant régulièrement dans La Minerve, ce Valade a laissé de volumineux manuscrits. Le texte qui suit, Mort de mon père, extrait des Manuscrits de François-Xavier Valade (2), est un bel exemple d’un style lyrique et outrageusement ampoulé de la deuxième moitié du XIXe siècle. Le fils trace de son père le portrait d’un homme vertueux, et de modeste condition. On y reconnaît peu notre bâtisseur, brasseur de grosses affaires. François-Xavier Valade fils a tout avantage à exagérer le fait qu’il venait d’un milieu modeste: son propre mérite s’en trouve accru. Le texte révèle toutefois des renseignements précieux sur un personnage qui appartient à l’histoire de Chambly. Mort de mon père Avril 1831 Ce mois est pour moi celui d’un douloureux souvenir. J’ai perdu plus qu’un ami, plus qu’un bienfaiteur, j’ai perdu mon vénérable et bien aimé père ! Si ma plume trace ici quelques faibles louanges à sa mémoire – mon cœur en dit plus, car le sentiment qui l’anime, c’est la voix de l’amour et de la reconnaissance. À peine avais-je atteint l’âge de quatre ans que mon cher père, désireux de faire instruire son enfant dans les principes religieux et lui donner une éducation solide, me plaça dans de bonnes écoles. Plus tard, je commençai au Collège (3) mon cours classique – il voulait faire de moi un bon citoyen– un homme utile à son pays. Aussi, que de fatigues il a essuyées, que de sueurs il a versées, que de sacrifices il s’est imposés pour me faciliter mon instruction. Il n’a vécu que pour son épouse et ses enfants. Le désir de leur procurer une honnête aisance lui fait entreprendre de longs et pénibles voyages. La terre où il travaillait était ingrate, il lui fallait chercher d’autres plages, se soumettre aux rigueurs d’un véritable exil, s’établir au milieu des forêts du Haut-Canada, loin de sa famille, de ses plus chères affections. (4) Ce fut à Jones Falls (5), petit village environné de marécages fétides, qu’il contracta une fièvre intermittente qui, en altérant son tempérament naguère encore fort rigoureux, aujourd’hui miné par un travail opiniâtre et un climat malsain, l’arracha deux ans plus tard à la famille dont il était le soutien et l’idole et pour laquelle il se sacrifia. (6) (De retour à Montréal, il fut atteint d’une fièvre violente et demanda comme une faveur d’être admis à l’Hôtel-Dieu où les secours de l’art et de la religion lui furent prodigués. Il se flattait de recouvrer la santé, de travailler encore pour sa famille qu’il avait sans cesse à la bouche comme au cœur; – mais son heure était sonnée, il ne devait plus revoir le foyer domestique.) (7) Par un dimanche à cinq heures du matin, se sentant défaillir, il lève les yeux au ciel, saisit son scapulaire, le porte à ses lèvres et plein de cette foi qui embaume le jour des épreuves, il porte sa dernière pensée au ciel, il meurt. – La famille était accourue trop tard pour recevoir cette bénédiction qu’il lui donnait avec tant de bonheur à l’aurore de chaque nouvelle année. La douleur est calme mais expressive. Elle [la famille] obtint des religieuses que son corps fut transporté dans l’église même de l’Hôtel-Dieu, puis à son domicile (plus tard l’hôtel Saint-Nicolas) où le clergé est venu recevoir sa dépouille mortelle. La suite recueillie des congrégationnistes (8) dont il avait été depuis quarante ans le confrère et l’ami, et qui alternativement portèrent son corps, témoignait l’estime que mon vieux père s’était attirée par sa conduite sage et réglée. L’on entendait les vieillards comme les jeunes gens répéter avec le pathétique accent de la douleur mêlée d’espérance: Beate qui in Domino Moriantur. Mon père avait été excellent fils, il avait prodigué à mon aïeul son père les soins que réclamaient les infirmités du vieillard (9). Il reçut sa bénédiction et son dernier soupir. Mon père fut bon époux, père dévoué, ami sincère, estimé de tous ceux qui le connaissaient pour sa probité proverbiale, et recherché pour ses qualités sociales et domestiques. FXV Texte et recherche: Louise Chevrier Notes (1) Notaire Joseph Demers, 27 juillet et 11 novembre 1814. Fait rare, Valade mentionne, dans un des engagements, qu’il donnera chaque jour à son apprenti une leçon pour lire et écrire. Tous les documents retrouvés sur Valade démontrent que lui-même était instruit. (2) Fonds MG24-K35, Bibliothèque et Archives Canada. Le fonds provient d’Alice Valade, arrière-petite-fille du bâtisseur de St. Stephens et fille du docteur François-Xavier Valade, d’Ottawa. François-Xavier Valade (1803-1893) est né à Montréal le 3 octobre 1803. Il a passé une partie de sa jeunesse à Chambly, racontant avoir été confirmé par le curé Jean-Baptiste Bédard. Il évoque d’ailleurs ces moments en 1877, dans une lettre adressée à l’un des évêques de Saint-Hyacinthe, Joseph Larocque (Chambly 1808-St-Hyacinthe 1887). (3) Il s’agit du Collège de Montréal (tenus par les Sulpiciens) que François-Xavier Valade (fils) a fréquenté entre 1816 et 1819. (4) En 1824, François Valade quitta Chambly, pour se rendre à l’Île-aux-Noix, où l’on érigeait le fort Lennox. Entre l’Île-aux-Noix et Jones Falls, il a sans doute regagné Montréal, puisqu’il y possédait une maison à sa mort, en 1831. (5) Jones Falls : écluse du canal Rideau construite entre 1826 et 1832, sous la direction du lieutenant-colonel John By. Ce chantier était le plus important de la construction du canal Rideau. (6) Une grave épidémie de malaria éclatât pendant l’été 1828. Des centaines d’ouvriers moururent. François Valade contracta donc cette maladie qui le fit mourir prématurément (il avait 53 ans) en avril 1831. (7) Dans le registre de Notre-Dame de Montréal, on trouve cette simple inscription : Le dix-neuf avril mil huit cent trente et un, je prêtre soussigné ai inhumé François Xavier Valade, menuisier, décédé avant-hier, à l’âge de cinquante trois ans, de cette Paroisse. Témoins Joseph Lahaye qui n’a su signer et Jean-BaptisteSancer soussigné. J. Arnaud prêtre. (8) François Valade, à l’instar de nombreux artisans de son époque, signait tous ses documents, établissait ses factures. Le texte nous confirme qu’il était instruit et qu’il a veillé à ce que son propre fils reçoive une instruction solide. Son épouse, Marie-Amable Gauthier aurait fréquenté le couvent des Dames de la Congrégation Notre-Dame à Montréal (selon Les manuscrits…). Qui sont ces «congrégationnistes» dont il avait été le confrère et l’ami depuis quarante ans, évoqués ici? Malheureusement, Valade omet de les identifier. (9) Guillaume Valade est mort à Chambly le 28 avril 1817 (Registre Saint-Joseph-de-Chambly), à l’âge de 73 ans. Il vivait chez son fils François, où il avait rédigé son testament un mois auparavant (Demers, 28 février 1817: le notaire ou son clerc nomment le père François Valade, père). À notre que le frère aîné de Valade, Guillaume, époux de Catherine Grothé, vit aussi à Chambly. Ce dernier a été maçon, maître tanneur et finalement, menuisier, sans doute sous l’égide de son talentueux frère cadet. Ce texte vous inspire des commentaires? Vous souhaitez émettre une suggestion? Merci de nous écrire.