Paul Cognac et ses chiens ont signé un des plus beaux tableaux souvenirs de mon enfance. Encore aujourd’hui, je revois, avec une certaine nostalgie, la rutilante sleigh tirée par quatre solides chiens haletants adroitement guidés avec douceur, respect et amour. À cette scène s’ajoute le souvenir sonore des clochettes cuivrées attachées au cou de Ti-lou et Prince, ses deux chiens de tête.
Fier de ses fidèles chiens, Paul reste attentif à leur bien-être. En collaboration avec le cordonnier de la paroisse, Herménégilde Trottier, il fait coudre et ajuste lui-même les harnais à la taille de chaque animal. Les attelages des chevaux lui servent de modèles. Il équipe donc chaque chien d’une muserole, d’une sangle, d’une sous-poitrinière, d’un collier rembourré et de larges guides. Deux par deux, Ti-Lou, une Labrador noire, et Fifille, une berger allemand, sont au premier rang, suivies de Prince et Finaud, aussi une berger allemand, quand Paul doit atteler ses quatre chiens. Ses bêtes n’ont d’attention que pour leur maître et n’obéissent qu’à sa voix. Artiste à ses heures, monsieur Cognac marie si bien les couleurs et les formes qu’il réalise des petits chefs-d’oeuvre d’imagination sur ses sleighs. Impossible de ne pas les remarquer et les admirer. L’hiver, les chiens ne se font pas prier pour courir sur les routes enneigées. Ils sont toujours prêts à faire plaisir à leur maître. La soeur de Paul, Olive, m’a raconté que les chiens de son frère ont même rendu service à Sa Majesté. Occasionnellement, quand la tempête de neige empêchait le cheval du postillon Oscar Perron de se rendre en campagne à cause des amoncellements de neige, monsieur Perron faisait appel à Paul et à ses chiens. Nez dans le vent, habilement guidés, commandant et équipage piquent en ligne droite à travers champs et livrent le précieux courrier. L’honneur de la poste royale est sauvé jusqu’à la prochaine tempête! Parfois, la rencontre d’autres attelages donne lieu à d’amicales compétitions entre Paul Cognac, Achille Lacoste, Alcide Tremblay, Armand Tremblay ou René Cognac, question d’établir le meilleur attelage, le plus résistant, le plus rapide et le plus confortable pour les bêtes. Jamais, ils n’ont fait des courses pour déclarer les plus rapides. Pas question de maltraiter les chiens, répètent les propriétaires. L’hiver, les attelages de chiens donnent un spectacle presque féérique sur la neige blanche. Malheureusement, nous n’avons pas de photos des traineaux peints en couleur. Si l’hiver, le spectacle était magnifique, l’automne transformait le spectacle en de multiples couleurs à saveur de fruits et de légumes. Maraîcher en été, Paul Cognac se faisait un devoir de fournir ses fidèles clientes du village de Chambly des produits de base pour leurs marinades et leurs confitures. Il sillonne les rues, presque désertes à l’époque, lentement, sans épuiser ses chiens, sous le regard intéressé des clientes. Je le vois encore aujourd’hui, avec sa solide voiture confectionnée de ses mains: les queues de carottes pendantes, ses tomates regorgées de soleil et bien rangées dans des paniers ronds, ses caisses de concombres bien mûrs, ses choux fleurs tout blancs, sans oublier les pommes rouges qu’il donnait parfois aux enfants sages. La semaine avant l’Halloween, le même manège se répétait. Il livrait ses citrouilles orange qui complétaient toute la gamme de couleurs d’automne. Il nous arrivait, parfois, de suivre l’attelage tellement on trouvait ce spectacle inhabituel. Quel beau souvenir! Quand l’amour touche le coeur de Paul Cognac, il y associe ses chers chiens. Pendant deux ans, deux fois semaine, il se rend en campagne, toujours en voiture à chiens, conter fleurette à sa bien-aimée, Adrienne Beaulieu, fille du fromager. Paul Cognac et ses chiens, ainsi que tous les autres amateurs d’attelages dans Chambly, ont connu leurs heures de gloire de 1938 jusqu’à la venue des chasse-neige au début des années 1950. Les samedis et les dimanches, monsieur Lacoste, dernier amateur de chiens de traîneaux, partait du fin fond de l’Île Demers avec sa longue meute de gros et robustes chiens de toutes les races pour parcourir les rues Martel, Saint-Pierre et Bourgogne jusqu’à Fort-Chambly. Les chiens de monsieur Lacoste étaient bien soignés et semblaient en santé. Leur fourrure était beaucoup plus abondante que celle des chiens de monsieur Cognac. Puis, ce fut la retraite pour tout ce beau monde. L’image d’une époque où tout le monde vivait en parfaite harmonie, dans le respect des uns des autres, ne s’est plus jamais manifestée. Seulement les photos ravivent nos mémoires et prolongent nos souvenirs. J’ai vécu cette époque! Quel unique bonheur! Marie-Claire Cadieux Note: Un merci bien chaleureux à la soeur de Paul Cognac, Olive, de m’avoir donné les détails de sa famille. Ce fut une belle rencontre. Photo: Paul Cognac et le frère Hervé, directeur du collège, revenaient de faire des courses pour la communauté enseignante des Frères des écoles chrétiennes au magasin général de monsieur Brien. Remarquez l’attelage des chiens, les roues de bicyclette et la solidité de sa voiture avec ses ressorts. Cette photo est prise sur la rue Salaberry. Ce texte vous inspire des commentaires? Vous souhaitez émettre une suggestion? Merci de nous écrire.