Le propriétaire d’une seigneurie au Bas-Canada disposait d’un «droit de retrait» reconnu par la Coutume de Paris. C’est-à-dire qu’il pouvait faire main basse sur un terrain concédé, moyennant une compensation versée à l’exproprié. Le seigneur devait justifier son geste.
«Lorsqu’un censitaire vend une terre à trop bas prix ou que l’acheteur n’offre pas de garanties sérieuses, en ce cas c’est le seigneur qui paie le prix de vente et garde la terre», selon Marcel Trudel. C’est que le seigneur estime être privé d’une partie de la taxe de vente, appelée à cette époque, «droit de lods et ventes», équivalant à un douzième (8.4%) de la valeur de cette terre. C’est ce qui est arrivé au boulanger Charles Bénac, en 1818, demeurant sur l’actuelle rue Martel. Le curé de Chambly Jean-Baptiste Bédard avait vendu à Charles Bénac un emplacement de 70 pieds par 250 pieds, , faisant partie de la terre actuellement à John Lynch, pour le prix de 800 livres d’ancien cours, conformément à la Coutume de Paris. Bénac avait exhibé le contrat au seigneur Samuel Hatt, en sa qualité de receveur des droits seigneuriaux, pour qu’il eut à prendre communication de cette mutation. Il y avait une clause de retrait conventionnel attachée à la concession faite auparavant par M. Boucher de Niverville… qui permettait, en remboursant l’acquéreur, de retraiter et retirer le dit emplacement ou partie de celui-ci. Samuel Hatt constate que le prix d’acquisition est beaucoup au-dessous de la valeur nette d’icelui et il a signifié à Charles Bénac qu’il désirait exercer ce droit. Bénac réplique. Il admet le droit du seigneur Hatt, mais il propose une entente: Au lieu de quelques sous d’anciens cours de cens et rentes annuelles, le dit emplacement serait chargé de 24 livres de cours ancien. Sur ce, le seigneur Hatt se désiste de son droit de retrait. (Notaire René Boileau, 11 décembre 1818). Le lecteur aura compris qu’une taxe de mutation de 8.4% sur une vente de terrain constituait un impôt élevé pour un censitaire. L’habitant cherchait à se soustraire à ce versement. Une entente «sous table» entre vendeur et acheteur permettait d’économiser sur la taxe. Pour garder son lot, Charles Bénac passera donc de 10 sous de taxes à 480 sous (soit ½ livre à 24 livres ou de ± 5 sous à 4 piastres). Imagine-t-on !!! (Une livre équivalait à 20 sous. Six livres françaises équivalent à 1 piastre d’Espagne). C’est ce qui est arrivé aussi à Jacques Frégeau pour «son emplacement à Saint-Thérèse, situé entre le chemin et le rapide Richelieu, avec une maison». Le seigneur Samuel Hatt considère que la proximité de cet emplacement au moulin à eau de la seigneurie pourrait causer des inconvénients et des procès, en ce que les propriétaires pourraient construire des digues, chaussées, des quais ou autres choses sur la grève ou le rivage de la dite rivière Richelieu, vis-à-vis l’emplacement, qui nuirait au moulin. De plus les rentes annuelles sont trop modiques, et le prix d’acquisition bien au-dessous de la valeur réelle”, plaide-t-il. .. On s’entend donc pour porter les rentes à 12 livres (2 piastres d’Espagne) cours ancien, moyennant quoi le seigneur Hatt se désiste de son droit de retrait. (René Boileau, 16 décembre 1818, acte no 4775). Les rumeurs de village parlaient alors de peurs non fondées, de fausses appréhensions, de menaces, voire de chantage. Le seigneur pouvait aussi exproprier un terrain s’il estimait en avoir besoin dans le futur pour ses propres affaires. Le seigneur De Salaberry n’a pas raté l’occasion d’appliquer ce droit. On y reviendra. Paul-Henri Hudon Ce texte vous inspire des commentaires? Vous souhaitez émettre une suggestion? Merci de nous écrire.