Les curés de campagne en savaient parfois plus que les chirurgiens-barbiers en matière de médecine générale. Il n’est pas étonnant que, lorsque que se répand au Québec vers 1775-1785 l’épidémie appelée Le mal de la Baie-St-Paul, le gouvernement fasse appel aux prêtres des paroisses pour déclarer et soigner les cas présumés d’infection. Le curé de Chambly, Jean-Pierre Mennard (1738-1792), fut sollicité par le docteur James Bowman pour cette besogne. Il s’agit d’une forme de maladie vénérienne. Voici la réponse fort intéressante qu’il fait suivre au médecin, via son évêque.
Lettre du curé Mennard, le 25 août 1785 à propos du mal de La Baie Je me suis contenté, après mon retour à Montréal, de vous faire présenter mes respects par M. Plessis dans une lettre du cinq du présent, me réservant à vous écrire à tête reposée, parce qu’en vous exprimant les sentiments de ma tendre et sincère reconnaissance, j’étais bien aise de vous parler d’autres choses qui demandent de mûres réflexions. J’ai vu à Saint-Denis, puis à Saint-Charles et ensuite chez moi le docteur Bowman qui m’a perçu avoir de l’esprit et une bonne éducation. Pendant le temps qu’il a roulé dans nos alentours, nous avons été bons amis, mais point d’accord sur les moyens d’extirpation du mal en question. Il m’a demandé de lui donner mon sentiment par écrit. Je lui ai répondu que je ne pouvais le faire subitement, mais que je lui écrirais sitôt qu’il serait à Québec. Réflexions faites, j’ai pensé, Monsieur, qu’il était mieux d’exposer mes idées à vous-mêmes, vous priant de les lui communiquer ou de les séquestrer, si vous jugez plus à propos. Je proteste premièrement que personne n’est plus désireux que moi de voir extirper le mal funeste qui désole cette province et d’employer tous les moyens qui seraient à mon pouvoir pour participer au bien public; Secondement, que je ne prétends donner aucun avis aux personnes respectables dont je dois en recevoir et me taire. Je veux seulement leur exposer mes sentiments afin que personne ne les noircisse mal à propos et ne donne un mauvais tour à ma manière d’agir à cet égard. J’ai dit et je pense 1- que s’adressant aux curés pour en faire des espèces de médecin, on a mal débuté, et qu’y ayant dix-neuf-vingtièmes d’entre eux qui n’y entendent goutte, nous aurions tort de nous en mêler et qu’on ne me dise pas qu’on n’exige point de nous les fonctions de médecin; on prétend sans doute amuser des enfants. Quoi? Monsieur, interroger un patient, examiner les symptômes de sa maladie, en déterminer le fond et les circonstances, s’informer de l’âge et du sexe, prescrire un régime en conséquence, donner des remèdes, en examiner les effets et, s’ils ne répondent pas aux traitements, multiplier les doses, veiller aux accidents qui peuvent être décuplés de ce qu’on nous propose dans le livret, changer de remèdes en conséquences, cela ne s’appelle pas les fonctions de médecin? Il ne manquait plus pour nous recevoir de la Faculté que de nous charger des interrogatoires et des visites à l’égard des personnes du sexe qu’on a trouvé à propos dans la dernière tournée. En vérité, Monsieur, je crois qu’on nous prend pour des… Mais je veux pour un moment que nos curés Esculapiens ne passent point en cela pour faire les fonctions d’Hyppocrate, que feront-ils au bout du compte? De l’eau claire. D’abord plusieurs maladies dernier (?) ou peut-être une seule peut s’annoncer par des symptômes à peu près semblables à ceux que l’on propose, comment les distingueront-ils? Ensuite viendront des accidents imprévus dont ils ne connaîtront pas seulement la cause, (car on ne me persuadera pas que les accidents sont tous annoncés dans le livret) que feront-ils alors? Surviendra une complication de diverses maladies, surtout dans le sexe, où en seront-ils? Je vous assure, Monsieur, que je croirais ma conscience terriblement engagée, si je me mêlais dans cette affaire. J’ai dit et je pense 2- qu’il me paraît bien plus simple et naturel de nommer et d’établir de distance en distance des docteurs capables d’administrer à propos les remèdes que le gouvernement a la générosité de fournir gratuitement, lesquels docteurs seraient sujets à l’examen et la visite du docteur Bowman, ou autre, commis pour ça par le dit gouvernement. M. Bowman objecte à ceci que le nombre de docteurs capables est si petit qu’il aime mieux s’en rapporter aux curés. C’est un compliment pour ceux du clergé qui voudront l’accepter. Pour moi, je dis que c’est la preuve palpable de ma première proposition, si on regarde des hommes qui ont quelque connaissance de l’art, qui ont quelques lecture de leurs autheurs (sic) et peut-être dix ou quinze ou vingt ans de pratique. Si on regarde ces gens-là comme incapables d’administrer des remèdes (soi-disant infaillibles) et d’en diriger l’opération, pourquoi dont d’adresser aux curés? Et pourquoi dire, comme M. Bowman me l’a dit à moi-même, que le premier venu qui sait lire peut administrer les dits remèdes? On objectera ensuite que le gouvernement ne peut entrer dans le payement des curés de cette multitude prodigieuse d’infortunés attaqués d’un mal. On a raison. Et le docteur dans la tournée, malgré la vigilance, n’a pas vu, je suis sur la moitié des malades (?). Aussi je n’entends point que le gouvernement entre dans cette dépense, mais que le médecin visiteur alloue aux médecins subalternes une certaine somme modique par chaque cure qu’il vérifiera avoir faite. La dite somme payable par ceux des malades qui seront en état de payer; et les pauvres seront soignés gratis. Et voilà, monsieur, ce que je pense de cette affaire et je n’ai pas cru pouvoir mieux m’adresser pour expliquer mes sentiments qu’à mon ancien et respectable maître qui ne peut avoir pour moi que de l’indulgence. J’ai l’honneur d’être avec le plus profond respect, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, Mennard, prêtre. Chambly, 25 août 1785. Cette lettre constitue une des belles pièces d’archives pour sa valeur historique. Paul-Henri Hudon Sources:Lettre: Archives du diocèse de Saint-Jean-Longueuil, Doc 1A-4Image: Wikipédia