Est-ce un homme ou une femme? Voici que le curé de Chambly demande l’avis de son évêque (Mgr Jean-Jacques Lartigue) concernant la conduite à tenir relativement à un hermaphrodite dans sa paroisse. Il écrit à l’évêque cette lettre.
Chambly, 19 février 1839, à l’évêque de Telmesse, Je viens de découvrir qu’il y a dans la paroisse depuis quelques mois, un hermaphrodite dans le costume féminin, mais dont tous les traits du visage annoncent un homme, ainsi que les indications, si j’en crois les personnes qui m’ont averti. Je l’ai fait venir et je vois par ses réponses qu’il est ce qu’on dit être. Je suis même convaincu qu’il devrait porter l’habit masculin. Il paraît, d’après ce qu’il m’a dit, que le conduit des urines ne se trouve pas dans la partie ordinaire, mais au-dessous, et dont l’orifice est un peu plus grand que dans les autres hommes, mais beaucoup trop petit pour appartenir au sexe. Je suis porté à croire, d’après ce que l’on m’en a dit, que ses moeurs sont mauvaises. Que faire d’un semblable être? J’attendrai vos ordres, Monseigneur, et j’agirai ensuite. Nous ne connaissons pas les ordres de l’évêque. Il est bien probable que ce personnage aura quitté Chambly de lui-même par la suite pour se perdre dans l’anonymat tranquille d’une ville. Au grand soulagement du curé et de l’évêque. Ces personnes ne sont-elles pas condamnées à une fuite perpétuelle? Voici que des fidèles avertissent le curé de la présence d’un homme qui s’habille en femme. L’affaire est troublante. Les dénonciateurs agissent-ils par curiosité malsaine? Y eut-il une plainte pour immoralité? Pourquoi en référer au curé? Qui sont ces rapporteurs indignés? Est-on en présence d’un voyeurisme collectif pour exhibition de foire? Et qui est ce bisexué? Ce qui intéresse l’historien dans un tel cas, c’est de comprendre la conduite des paroissiens et du curé. À cette époque, qu’un homme porte des vêtements féminins ou qu’une femme s’habille en homme est en soi suspect. Une telle attitude était louche et incriminante. Les bien-pensants la dénonçaient vertement. Le moyen âge des sorcières peut en ténoigner par les bûchers qu’il a connus. Le curé a la sagesse de taire son nom à jamais. Bien sûr, il n’est pas question ici d’une instruction médicale, quoique l’intimé a pu être référé au curé par un médecin. Ni de délinquance morale. Dans le cas d’immoralité, on aurait eu recours au capitaine de milice. C’est ce dernier qui est responsable du bon ordre public. Non! Le curé doit déterminer le sexe véritable du sujet et, par tant, indiquer à ce monsieur sa conduite, non seulement vestimentaire, mais aussi sexuelle. Or, le prélat reste perplexe. La personne a toutes les apparences d’un mâle, sans en avoir l’attribut essentiel. Et une morphologie féminine, mais très partielle. Il n’a pas les deux sexes, mais est en manque de l’un et de l’autre, «d’après ce qu’il m’a dit». «Que faire d’un semblable être», qui n’est pas responsable de son état? «On m’a dit que ses moeurs sont mauvaises et je suis porté à le croire», écrit le curé. Le curé tient-il là le bon prétexte pour recommander son bannissement? Si on ne peut lui imputer son handicap naturel, du moins est-il responsable de sa conduite? Était-il cause de scandale public? Avait-il des intimités privées répréhensibles? Et vous, lecteurs, qu’en pensez-vous? Si vous aviez été ce curé? En notre présent siècle, qu’adviendrait-il d’un tel personnage dans un de nos villages? Autres temps, autres moeurs. Rédaction: Paul-Henri Hudon IllustrationsArchives du diocèse de Saint-Jean, pièce 1A-118Image de Wikipedia