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Un mariage, le 14 mai 1812 à Chambly

By 10/04/2019May 9th, 2019No Comments

Il y a 200 ans, le 14 mai 1812, à onze heures du matin, dans l’église Saint-Joseph-de-Chambly, les cloches sonnent à la volée. Marie-Anne-Julie Hertel de Rouville et Charles-Michel de Salaberry unissent leurs destinées devant le curé Jean-Baptiste Bédard.

Rien de plus habituel qu’un mariage entre deux familles de la noblesse. Mais ce mariage est un événement historique d’importance dans l’histoire de Chambly et revêt une signification particulière si on le replace dans son contexte historique. Le jour de ses noces, Marie-Anne de Rouville est à la veille de fêter ses 24 ans. Née à Montréal le 23 mai 1788, elle a été élevée à Chambly où la famille Rouville s’est installée en 1789 et ont construit un manoir (situé au 27, rue De Richelieu). Nous savons peu de choses sur cette demoiselle. Son père, Melchior Hertel de Rouville, militaire de carrière, mais faisant preuve d’un goût pour la littérature comme en témoigne sa correspondance, a passé sa jeunesse en France. Sa mère, Marie-Anne Hervieux, est la fille d’un marchand montréalais. Marie-Anne de Rouville a sans doute fréquenté le couvent des Dames de la Congrégation Notre-Dame à Montréal puisque son nom ne figure pas sur les listes des Ursulines et de Québec et de Trois-Rivières. Elle est marraine de plusieurs enfants de la paroisse dont Marie-Anne Talham, en en janvier 1812, la fille du médecin de Chambly Joseph-Alexandre Talham, un ami de la famille Rouville. Marie-Anne apporte en mariage une dot substantielle de 36 000 livres, ancien cours. Quant au marié, Charles-Michel d’Irumberry de Salaberry, il est un personnage historique connu de l’histoire. Né à Beauport le 19 novembre 1778, il est entré dans l’armée à l’âge de 14 ans. Il est le protégé d’un prince d’Angleterre, Edward-Augustus, duc de Kent. Il a vécu en Irlande, en Angleterre et aux Antilles. Il a également navigué à bord de l’Asia. En automne 1811, Salaberry avait obtenu le grade hiérarchique de major de l’armée britannique, après18 années de service. Le 15 avril 1812, George Prévost, gouverneur du Canada l’autorise à mettre sur pied un corps d’armée formé uniquement de volontaires nés au Canada : les Voltigeurs canadiens. Ces deux événements permettront à Salaberry de jouer un rôle important pendant la guerre qui s’en vient. En effet, le 18 juin, la population du Bas-Canada apprend que guerre est déclarée entre les États-Unis et l’Angleterre et qu’elle se déroulera en terre canadienne. Mariage et deuils   Nous ignorons à quel moment Marie-Anne de Rouville et Charles de Salaberry décident de se marier. Le jour de son mariage, Salaberry avait 33 ans et avait passé de longues années loin du pays. En 1808, après avoir formé des projets de mariage avec une cousine germaine vivant en Irlande, Mary Fortescue, il avait dû y renoncer, contraint par sa famille et le duc de Kent. De retour au Canada en 1811, Salaberry est à Halifax comme aide de camp du général de Rottenburg. Il ne sera de retour à Québec qu’à la fin de cette année. Vraisemblablement, Charles et Marie-Anne se seraient rencontrés (ou revus) à partir de ce moment. Melchior de Rouville est un cousin de Catherine Hertel de Saint-François, la mère de Salaberry et sa correspondance avec Louis de Salaberry témoigne d’une longue amitié entre les deux hommes qui date de la première guerre contre les Américains (1775). Voici un extrait ce qu’écrivait Melchior de Rouville à Louis de Salaberry, le 11 avril 1812 (fonds Famille Salaberry, BAC) : L’honneur de la vôtre en date du deux du courant (monsieur de Salaberry a écrit à monsieur de Rouville le 2 avril) m’est parvenue avant-hier; j’avais su que vous et ma chère cousine étiez malade et madame de Rouville et moi y avons pris toute la part imaginable […] Puisque l’alliance de ma fille avec monsieur votre fils a le bonheur de rencontrer votre approbation, je suis charmé de vous assurer que c’est avec le plus grand plaisir que madame de Rouville et moi y avons accédé […] Monsieur votre fils doit avoir reçu par la dernière poste une réponse relative à ce qu’il demandait pour accélérer le moment de son union.   Pourquoi monsieur de Rouville remercie-t-il Louis de Salaberry de donner son approbation au mariage alors que la décision devait être déjà prise? La même lettre nous apprend que Salaberry attend des réponses à sa demande de quatre dispenses nécessaires à « accélérer le moment de son union » (trois pour non publication des bans et une autre pour cousinage au quatrième degré). Pourquoi monsieur de Rouville souligne-t-il en terme délicat la «maladie» commune du couple Salaberry en ajoutant que lui et sa femme y ont pris «toute la part inimaginable»? La réponse à ces questions s’explique parle fait que la famille Salaberry était en deuil depuis peu et que ce deuil aurait dû normalement retarder le mariage, selon les mœurs de l’époque. En mars 1812, les Salaberry avaient brutalement appris la disparition de leur fils cadet, François-Louis, mort de maladie aux Indes, en avril 1811 ! Cette mort suivait à un an d’intervalle une nouvelle semblable: leur fils Maurice-Roch avait succombé à une maladie en 1809 aux Indes et les Salaberry ne l’ont appris qu’en 1811.L’ensemble de la correspondance familiale témoigne de la douleur causée par ces deux morts. Il faut imaginer l’état d’esprit de Charles, qui était l’aîné des quatre frères Salaberry, après ces tragiques disparitions. Mais il est pris dans le tourbillon d’une guerre qui s’en vient et de son futur mariage. Et le tragique destin des Salaberry fera que le plus jeune des frères Salaberry, Édouard-Alphonse, est tué le 5 avril 1812 au siège de Badajoz. Il n’avait que 19 ans. Le jour de son mariage, Salaberry ignore cette nouvelle qui n’arrivera au pays qu’au début de juin.   Mariage et guerre   Malgré son chagrin, Salaberry doit voir aux préparatifs du mariage tout en organisant son régiment. Les premiers Voltigeurs sont à la veille d’arriver à Chambly où doit commencer leur entraînement. Le matin du 13 mai, Salaberry est toujours à Montréal où il termine la rédaction d’un document (écrit en français), probablement destiné au capitaine Joseph-François Perrault, concernant l’entraînement des Voltigeurs. (Salaberry est attendu à Québec le 26 mai par le gouverneur Prévost.) L’après-midi du 13 mai, il arrive à Chambly, au manoir des Rouville et signe son contrat de mariage rédigé par le notaire Louis Guy : en la maison et demeure du dit sieur Hertel de Rouville , écuyer, l’an mil huit cent douze, le treize de mai, après-midi (…)   Son père, Louis de Salaberry est présent, mais ni sa mère ni ses sœurs, Amélie et Adélaïde, n’assisteront au mariage. Seul Michel-Louis Juchereau-Duchesnay, à la fois cousin et beau-frère de Salaberry (il a épousé Hermine de Salaberry) est aussi présent. Les autres personnes présentes au mariage sont de la famille ou des amis des Rouville : Jean-Baptiste René Hertel de Rouville, frère de la mariée, Marie-Anne de Rouville, tante, Charlotte Curot, autre tante, Michel Curot, cousin, St-Georges Dugré, cousin, le notaire Louis Guy et son épouse, René Boileau, notable et Joseph-Alexandre Talham, médecin. Une lettre de Melchior de Rouville à l’évêque Plessis nous apprend également que Salaberry aurait souhaité se marier le soir (du 13 ou du 14 mai?): ils se sont mariés à onze heures du matin et mes idées rencontraient parfaitement les vôtres pour que la chose ne se fit point le soir(…)   Le mariage de Marie-Anne de Rouville et de Charles de Salaberry le 14 mai 1812 est annonciateur que de grands changements se produiront à Chambly. La paroisse qui compte au plus mille habitants voit défiler des régiments qui installent leur cantonnement sur la banlieue du fort. L’arrivée massive de soldats transforme le visage de Chambly, et l’année suivante, les autorités entreprennent la construction une cinquantaine de bâtiments militaires autour du fort pour loger tout ce monde. En 1813, alors que la construction bat son plein, les gens de Chambly verront arriver un régiment de mercenaires européens, le régiment de Meuron, comprenant  des Français, des Belges, des Italiens, des Espagnols, etc. pour la plupart d’anciens soldats de la Grande Armée de Napoléon. Contrairement à la coutume qui faisait qu’une femme suivait son époux, Charles de Salaberry, fera construire une somptueuse résidence à Chambly en 1814, en bordure des terrains militaires, choisissant de s’établir dans la paroisse de son épouse plutôt qu’à Beauport. Il avait peut-être  sans doute pris la décision depuis longtemps. Le 13 mai 1812, veille de son mariage, paraissait une annonce dans la Gazette de Québec. Charles de Salaberry mettait en vente une maison qu’il avait achetée sur la rivière Saint-Charles. Était-ce un mariage d’amour? Laissons parler Charles, dans les rares lettres à Marie-Anne qui nous sont parvenues: Qu’il est malheureux ma chère amie d’être séparé pour si longtemps de tout ce qu’on a de plus cher. […] Je garde toujours la maison de Saint-Philippe en espérance que nous y rentreront bientôt. (Salaberry avait loué cette maison où le couple a habité pendant l’hiver 1812-1813) Je me languis de ce bonheur. Les guerres qui traînent en longueur sont bien désolantes et ennuyantes. Depuis que j’ai eu le bonheur de m’allier à toi, j’ai ressenti cette vérité bien fortement. (Lettre du 6 octobre 1813). Louise Chevrier   Illustration: Benjamin Earwicker – www.sxc.hu